dimanche 7 juillet 2013

Le Docteur Dominique Dupagne s'exprime sur la Cigarette Electronique dans l’émission La Tête au Carré, sur France Inter, le 14 juin 2013



Intervenants dans cette séquence : 

*Dominique Dupagne, médecin généraliste à Paris
Éditeur du blog atoute.org 
 Son sujet : La ministre de la santé Marisol Touraine a annoncé fin mai sur France info son intention d’interdire la cigarette électronique dans les lieux publics et au moins de 18 ans. Que faut-il penser de la cigarette électronique ? Constitue-t-elle un danger réel ?

*François Charpentier, médecin
Directeur de la collecte pour l’EFS Ile de France
Son sujet : c’est la 10e journée mondiale des donneurs de sang. La France est pays hôte.
Pour en savoir plus : www.dondusang.net

*Thomas Porcher, économiste
Professeur à l’école supérieure de gestion
Auteur de l’ouvrage « Le mirage du gaz de schiste » aux éditions Max Milo
Son sujet : L’exploitation des gaz de schiste aurait-elle obligatoirement des effets bénéfiques sur l’économie ?

*France Inter, La tête au carré, présenté par Mathieu Vidard, 14 juin 2013 

Transcription


[Mathieu Vidard] - Dominique Dupagne, on ouvre avec vous le dossier « Cigarette électronique », ces cigarettes qui connaissent un succès grandissant, avec des boutiques qui fleurissent un petit peu partout, des questions qui se posent au sujet de leur toxicité, à tel point que la Ministre de la Santé a annoncé fin mai son intention de l’interdire dans les lieux publics et aux moins de 18 ans.

Que faut-il penser de tout cela, Dominique Dupagne ?

[Dominique Dupagne] - En fait, il n’y a pas de toxicité ; d’ailleurs le rapport des experts qui recommandaient de ne pas l’autoriser dans les lieux publics dit qu’il n’y a pas de toxicité. En fait, c’est sur des peurs qui seraient liées à une incitation à consommer du tabac par l’imitation, peurs qui sortent franchement du cerveau des experts - on ne sait pas très bien comment - qui poussent à donner ces limitations que personne ne comprend puisque ce produit, que personnellement, j’ai combattu pendant de nombreuses années sur mon forum parce qu’ils nous polluaient pour essayer de nous vendre leur camelote, est un produit mature maintenant qui représente un progrès absolument majeur dans la lutte contre le fléau que représente le tabagisme. Donc tout ce qui peut favoriser son usage paraît logique.

[MV] - Donc vous aviez de gros doutes quand même, au départ ?

[DD] - Au départ, c’est un produit qui est sorti du marché, ce n’est pas un produit qui est sorti de la science.
D’un côté, vous aviez l’industrie pharmaceutique qui jouait la carte de la nicotine et qui pensait (ce qui paraît très contestable) que tout résidait dans la nicotine et sa dépendance ;
et de l’autre côté, vous aviez des gens qui bricolaient des systèmes pour essayer d’imiter la cigarette et de faire en sorte d’avoir quelque chose qui ressemble le plus possible à la cigarette ; donc la lumière au bout, la fumée, l’âcreté dans la gorge avec un produit un peu asséchant.

Finalement, ce n’est pas la Science avec un grand S qui a gagné, c’est plutôt le terrain, c’est les gens sur des forums, c’est des chercheurs chinois, c’est du bricolo et c’est ça qui marche ; et ça gène beaucoup de monde.

[MV] - Thomas Porcher ?

[TP] - Il y a une pile dans cette...

[DD] - On peut expliquer comment ça marche, c’est très simple :
Vous avez un réservoir dans lequel vous avez un produit qui s’appelle du propylène glycol qui est un produit qui est utilisé depuis des années dans le monde alimentaire, qui est dans certains produits pour asthmatiques, enfin dont l’innocuité est très sure, qui est chauffé de façon à former une vapeur très avide d’eau ; et le fait de capter l’eau qui est dans notre appareil respiratoire va faire de la fumée en sortant.

Et donc il y a une batterie qui va faire chauffer une résistance de façon à transformer ce propylène glycol en un gaz et imiter la fumée et en même temps assécher la gorge car c’est un produit asséchant. Il peut y avoir dans cette cartouche des arômes qui rappellent le tabac, ou de la nicotine...

[MV] - Alors, c’est qu’il y a de la nicotine quand même ?

[DD]- Absolument, il y a dans certaines cartouches de la nicotine, pas dans toutes, mais il y a donc vraiment une simulation du tabagisme mais sans ces gaz nocifs qui sont cancérigènes, qui donnent des bronchites chroniques et des maladies cardio-vasculaires.

[MV] - Alors l’état des lieux c’est 500 000 vapoteurs déjà en France ?

[DD] - C’est une explosion. C’est vraiment exponentiel.

[MV] - Oui, on en voit partout, dans les transports en commun, les étudiants vapotent beaucoup...

[DD] - Mais ce n’est qu’un début !

Honnêtement l’explosion est colossale, ce qui pose beaucoup de problèmes à des gens qui tournent autour. L’industrie pharmaceutique qui est dans le substitut nicotinique sait pas trop quoi faire et les débitants de tabac aussi, L’État aussi... Le problème c’est que c’est un produit qui ne paye pas les taxes habituelles, il y a donc un gros manque à gagner ; et surtout c’est un système qui échappe à l’establishment scientifique actuel.

[MV] - L’industrie du tabac évidemment... ça les agace beaucoup, l'industrie pharmaceutique aussi parce que ça fait concurrence aux patchs...

[DD] - Le problème est qu'ils n'ont pas suivi le circuit habituel de validation des produits. C'est ce qu'on leur reproche d'ailleurs mais face à un fléau qui tue 200 personnes par jour on peut avoir quand même un certain respect pour des données qui sortent du terrain et qui sont énormes.

Il y a un pharmacologue qui disait, j'aime bien cette boutade : "Les statistiques c'est pour les loosers". Ça veut dire que [quand] l'effet d'un produit est évident, on sort du schéma habituel où on doit utiliser nos outils statistiques habituels pour montrer des différences. Quand la pénicilline est sortie il n'y a pas eu besoin de faire des essais contrôlés pour vérifier que ça guérissait les pneumonies. Là l’effet, et je vous dis je suis un ancien adversaire du produit, est absolument extraordinaire, incontestable. Je commence à en prescrire à mes patients.

[MV] - Carrément ?

[DD] - Bien sûr alors... On verra comment faire malheureusement, parce que ce n'est pas si simple que ça. Et je vous dirai comment faire en pratique parce qu'on ne peut pas donner telle marque, faire une ordonnance. C'est quelque chose qui doit être conseillé. C'est un produit dont l'abord nécessite l'apport d'un professionnel. On conseille souvent de fréquenter des forums d'utilisateurs.

Il y a des forums très actifs par exemple le forum forum-ecigarette.com - qui n'est pas mon forum, je ne fais pas de la publicité pour moi - et qui est vraiment une communauté très impressionnante par la qualité, les conseils qu'ils donnent et la prise en charge.

Dans les boutiques, vous avez des professionnels qui expliquent comment fonctionne le matériel, qui donnent des conseils et finalement, moi qui cherchait un truc simple, une espèce d'ordonnance toute faite où je puisse dire « achetez tel produit » ou sur internet, finalement je conseille aux gens d'aller dans des boutiques spécialisées pour se faire conseiller.

[MV] - François Charpentier, vous êtes médecins aussi, j'aimerais avoir votre avis sur la question. Qu'est-ce que vous pensez vous de ces cigarettes électroniques ? Sur leur innocuité ? Le fait de pouvoir en prescrire…

[FC] - Je suis assez d'accord avec ce que je viens d'entendre sur le plan de l’innocuité, nicotine mise à part mais elle n'est pas systématique je pense. Pour en avoir vues quelques-unes, je trouve qu'il y a un petit côté rétro assez marrant. On dirait les femmes des années 1930 avec des fume-cigarettes c'est assez amusant. Après pour avoir vu dans le métro la vapeur que ça produit, la fumée... J'étais un petit peu gêné quand même par l'aspect visuel : j'ai trouvé que la fumée était assez opaque.

[MV] - Ça agace beaucoup de gens dans les transports en commun.

[DD] - Oui ceux qui ne fument pas associent totalement ce produit à la cigarette.

[FC] - Sur le plan médical, je me range à l'avis de ce qui a été dit là.

[MV] - Dominique Dupagne ?

[DD] - Ce qui provoque le fait que j'en parle aujourd'hui, c'est qu'il y a un article scientifique qui est sorti récemment et qui permet de répondre aux questions qu'on pouvait se poser sur la composition et l'innocuité. Il y avait un certain flou autour de ça et le Professeur Molimard a écrit un article sur le site de FORMINDEP : Avec la cigarette électronique, est-ce "du sérieux" ? dans lequel il a colligé les données scientifiques sur le sujet. C'est extrêmement bien fait, détaillé, sourcé, réferencé et convaincant.

Et c'est un peu en contraste avec le rapport de l'Office Français du Tabagisme qui a été fait par des tabacologues. Je trouve vraiment dommage que les autorités sanitaires continuent à se tromper quand elles demandent leur avis à des experts. Il faut des experts, on a des experts autour de cette table : le problème c'est que les tabacologues sont les dernières personnes à qui il faut demander leur avis sur la cigarette électronique.

[MV] - Pour eux, c'est un concurrent direct.

[DD] - C'est un produit concurrent qui va les mettre à la retraite anticipée. Alors bon... Le Professeur Molimard, lui, se trouve être un retraité depuis longtemps. C'est le seul dans toute cette bande qui n'a plus de liens d'intérêts avec l'industrie du tabac, parce qu’il y a ce problème-là aussi... ou l'industrie des substituts nicotiniques depuis plus de 10 ans. Je n'en ai pas non plus, je le précise au passage.

Comment demander à des gens qui vivent des systèmes d'arrêt du tabac autres que la cigarette électronique s'il faut faire la publicité et l'autoriser aux mineurs. Leur réponse, étonnante, est : Non ! Et c'est totalement illogique, on est dans le problème des liens d'intérêt. Il faut absolument qu'on réforme notre système, c'est à dire qu'on ne demande pas systématiquement l'avis des gens qui sont directement impactés par les décisions qu'ils prennent et les avis qu'ils donnent.

[MV] - Justement sur Twitter, "Stickervapote" qui nous envoie ce message : Je ne fume plus je vapote, déjà près de 20.000 autocollants en circulation en France.

[DD] - Le mot est important : vapoter. On ne dit pas fumer, on dit vapoter, et ce sont des vapoteurs.

[MV] - Geoffroy demande s'il y a une dépendance vis-à-vis de cette cigarette électronique. Est-ce qu'on a assez de recul d’abord pour pouvoir le dire ? C'est quand même très récent, ça fait combien de temps que c'est sur le marché ?

[DD] - Depuis 10 ans.

[MV] - Déjà quand même ?

[DD] - Oui ça fait 10 ans mais ça se perfectionne régulièrement et je considère que c'est un produit mature depuis seulement quelques années. Ce qui explique mon revirement à son sujet.
Donc on vapote. Il y a une dépendance s’il y a de la nicotine dedans. Si on était dépendant à la nicotine, on conserve la dépendance qu'on avait en étant fumeur mais toutes les expériences montrent qu'elle est beaucoup moins forte. Vous avez parlé des addictions dans une émission toute récente : pour qu'il y ait une addiction il faut qu'il y ait une punition et une récompense. Il faut un manque, une récompense, un manque, une récompense…

Or la cigarette électronique ne [se] fume pas du tout de la même façon que la cigarette classique où on va augmenter son taux de nicotine par exemple dans le sang régulièrement. Dans la cigarette électronique, vous "tirez une taffe", comme on dit, dessus régulièrement toute la journée ; donc vous avez un taux sanguin assez stable des composants et vous n'avez pas ce système de punition récompense qui entretient la dépendance.

[MV] - Donc on est plutôt tranquille ?

[DD] - C'est à dire qu'on remplace une dépendance forte et connue chez les fumeurs qui n'arrivent pas à arrêter par une petite dépendance et surtout par un produit dénué de toxicité parce que même si les gens restaient dépendants à la cigarette électronique, le problème Santé serait résolu par son usage.

[MV] - Par contre il y a une dépendance au geste qui reste ?

[DD] - Mais c'est le but. En fait, l'industrie s'est concentrée sur le produit chimique parce que c'est son système de fabrication, ce que je comprends très bien. Et les vapoteurs se sont concentré sur le geste, sur les habitudes, sur tout ce qui entoure et notamment cette sècheresse de la gorge liée à l'avidité pour l'eau du propylène glycol qui reproduit une sensation. Donc le fumeur retrouve à peu près toutes les sensations qu'il avait, ce qui lui permet de ne pas être en manque du vrai tabac qui brûle.

[MV] - Et sur la présence des arômes ? Pas de problèmes particuliers ? Vous êtes tout à fait confiants sur les produits chinois ?

[DD] - L'article du Pr Molimard passe en revue les différents arôme connus. Evidemment, si on met n'importe quoi dans la cartouche : si on met de l'arsenic dedans, c'est sûr, on va s'empoisonner. Ça, c'est clair mais les arômes actuels ne posent pas de problèmes particuliers en étant chauffés entre 60 et 80 degrés. Si on ne veut pas de risque, on peut prendre des cigarettes sans arômes bien sûr.

[MV] - François Charpentier ?

[FC] - Je dirais qu'il faut effectivement peut-être attendre quand même d'avoir un petit peu plus de recul pour être formel. Après je voulais vous poser la question de savoir si l'industrie pharmaceutique qui se sent menacée aujourd'hui n'a pas les moyens de racheter les fabricants de cigarettes électroniques ?

[DD] - Mais elle s'y met bien sûr. Le problème est qu'elle est soumise à des contrôles très stricts, à une procédure de mise sur le marché que vous connaissez. Or c'est un "produit 2.0" si je puis dire. C'est né chez les fumeurs, chez les utilisateurs et c'est en train de bousculer un establishment scientifique qui regarde le train passer et qui ne sait pas comment faire pour rentrer dedans.

[MV] - Le nom est très judicieux : e-cigarette quand même...

[DD] - E-cigarette, ce qui en plus ne veut rien dire puisqu'il y a très peu d'électronique dedans. En fait c'est une chaufferette : c'est quelque chose qui chauffe mais le mot plaît. "Cigarette électronique" faisait partie des choses qui m’irritaient au départ en effet. C'est un produit qui, techniquement et scientifiquement, est nature et donc il faut absolument enlever tous les obstacles qui empêcheraient les fumeurs de bénéficier de cette aide.

[MV] - Dernier courriel de Yohan : l'augmentation des ventes de cigarette électroniques est-elle plutôt due à un effet de mode ou bien une prise vraiment de conscience de la population ?

[DD] - C'est à dire qu'on voit que ça marche. Dans ma clientèle, j'ai des gens qui étaient des gros fumeurs qui n'arrivaient pas à arrêter et qui n'ont aucun problème grâce à la cigarette électronique. C'est pour ça je vous dis on ne peut être que… C'est un peu comme le baclofène chez l'alcoolique si vous voulez. Et l'effet est pourtant beaucoup moins net avec le baclofène. Quand vous avez des gens chez qui rien ne marchait et qui d'un seul coup arrivent à s'en sortir, c'est quand même très convaincant.


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